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d’activité extraordinaire, pour répéter sa phrase à tout venant :

— Je suis guérie… Je suis guérie…

Et elle racontait qu’elle avait dévoré la moitié d’un poulet, elle qui ne mangeait plus depuis des mois. Puis, pendant près de deux heures, elle avait suivi à pied la procession aux flambeaux. Elle aurait dansé sûrement jusqu’au jour, si la sainte Vierge avait donné un bal.

— Je suis guérie, oh ! guérie, tout à fait guérie.

Alors, avec une sérénité enfantine, une souriante et parfaite abnégation, madame Vêtu put dire encore :

— La sainte Vierge a eu raison de la guérir, celle-là, qui est pauvre. Ça me fait plus de plaisir que si c’était moi, parce que j’ai ma petite boutique d’horlogerie, et que je puis attendre… Chacune son tour, chacune son tour.

Presque toutes montraient cette charité, cet incroyable bonheur de la guérison des autres. Elles étaient rarement jalouses, elles cédaient à une sorte d’épidémie heureuse, à l’espoir contagieux d’être guéries, le lendemain, si la sainte Vierge le voulait. Il ne fallait pas la mécontenter, se montrer trop impatiente ; car elle avait sûrement son idée, elle savait pourquoi elle commençait par celle-ci plutôt que par celle-là. Aussi les malades les plus gravement atteintes priaient-elles pour leurs voisines, dans cette fraternité de la souffrance et de l’espoir. Chaque miracle nouveau était un gage du miracle prochain. Leur foi renaissait toujours, inébranlable. On racontait l’histoire d’une fille de ferme, paralytique, qui avait marché, à la Grotte, avec une force de volonté extraordinaire ; puis, à l’Hôpital, elle s’était fait redescendre, voulant retourner aux pieds de Notre-Dame de Lourdes ; mais, dès la moitié du chemin, elle avait chancelé, haletante, livide ; et, rapportée sur un brancard, elle était morte, guérie, disaient ses voisines de salle.