qui avait la joie d’être mort et qu’ils se sont permis de tremper dans leur eau, avec le criminel espoir de le faire revivre ! Mais, s’ils avaient réussi, si leur eau l’avait ranimé, ce misérable, car on ne sait jamais dans ce drôle de monde, croyez-vous que l’homme n’aurait pas été en droit de leur cracher sa colère à la face, à ces raccommodeurs de cadavres ?… Est-ce que ce mort les avait priés de le réveiller ? Est-ce qu’ils savaient s’il n’était pas content d’être mort ? On consulte les gens, au moins… Les voyez-vous me faire cette sale farce, à moi, quand je dormirai enfin le bon grand sommeil ? Ah ! je les recevrais bien ! Mêlez-vous donc de ce qui vous regarde ! Et ce que je m’empresserais de remourir !
Il était si singulier, dans son emportement, que l’abbé Judaine et le docteur ne purent s’empêcher de sourire. Mais Pierre restait grave, glacé par le grand frisson qui passait. N’étaient-ce pas les imprécations désespérées de Lazare qu’il venait d’entendre ? Souvent, il avait imaginé que Lazare, sorti du tombeau, criait à Jésus : « Oh ! Seigneur, pourquoi m’avoir réveillé à cette abominable vie ? Je dormais si bien de l’éternel sommeil sans rêve, je goûtais enfin un si bon repos, dans les délices du néant ! J’avais connu toutes les misères et toutes les douleurs, les trahisons, les fausses espérances, les défaites, les maladies ; j’avais payé à la souffrance ma dette affreuse de vivant, car j’étais né sans savoir pourquoi, j’avais vécu sans savoir comment ; et voilà, Seigneur, que vous me faites payer double, en me condamnant à recommencer mon temps de bagne !… Ai-je donc commis quelque inexpiable faute, que vous la punissez d’un si cruel châtiment ? Revivre, hélas ! se sentir mourir un peu chaque jour dans sa chair, n’avoir d’intelligence que pour douter, de volonté que pour ne pas pouvoir, de tendresse que pour pleurer ses peines ! Et c’était fini, je venais de passer le pas terrifiant de la mort, cette