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par terre, baiser la terre et croire. Ou bien s’en aller. Il n’y avait pas de compromis possible. Du moment que l’examen commençait, il ne devait plus s’arrêter, il aboutissait fatalement au doute.

Mais Pierre, surtout, souffrait des extraordinaires conversations qu’il entendait. Les croyants qui étaient dans la salle, parlaient des miracles avec une aisance, une tranquillité inouïes. Les faits stupéfiants les laissaient pleins de sérénité. Encore un miracle, encore un miracle ! et ils racontaient des imaginations de démence avec un sourire, sans la moindre protestation de leur raison. Ils vivaient évidemment dans un tel milieu de fièvre visionnaire, que rien ne les étonnait plus. Et ce n’étaient pas seulement des simples, des enfantins, des illettrés, des hallucinés, tels que Raboin ; mais des intellectuels se trouvaient là, des savants, le docteur Bonamy et d’autres. C’était inimaginable. Aussi Pierre sentait-il grandir en lui un malaise, une sourde colère qui aurait fini par éclater. Sa raison se débattait, ainsi qu’un pauvre être qu’on aurait jeté à l’eau, que de toutes parts le flot prendrait et étoufferait ; et il pensait que les cerveaux, comme le docteur Chassaigne par exemple, qui sombrent dans la croyance aveugle, doivent d’abord traverser ce malaise et cette lutte, avant le naufrage définitif.

Il le regarda, il le vit infiniment triste, foudroyé par le destin, d’une faiblesse d’enfant qui pleure, seul au monde désormais. Et, pourtant, il ne put retenir le cri de protestation qui lui montait aux lèvres.

— Non, non ! si l’on ne sait pas tout, si même l’on ne sait jamais tout, ce n’est pas un argument pour cesser d’apprendre. Il est mauvais que l’inconnu bénéficie de ce que nous ignorons. Au contraire, notre éternel espoir doit être d’expliquer un jour l’inexpliqué ; et nous ne saurions avoir sainement un idéal, en dehors de cette marche à l’inconnu pour le connaître, de cette victoire