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Et il désignait du geste un gros homme d’une quarantaine d’années, grisonnant, à la face épaisse, à la mâchoire de dogue. Lui était un croyant exaspéré, un exalté qui ne permettait pas qu’on mît en doute les miracles. Aussi souffrait-il de sa fonction au bureau des constatations médicales, toujours prêt à gronder de colère, dès qu’on discutait. L’appel aux médecins l’ayant jeté hors de lui, le docteur dut le calmer.

— Allons, Raboin, mon ami, taisez-vous ! Toutes les opinions sincères ont le droit de se produire.

Mais les malades défilaient. On amena un homme dont un eczéma couvrait le torse entier ; et, quand il ôtait sa chemise, une farine grise tombait de sa peau. Il n’était pas guéri, il affirmait seulement qu’il venait chaque année à Lourdes et qu’il en repartait chaque fois soulagé. Puis, ce fut une dame, une comtesse, d’une maigreur effrayante, dont l’histoire était extraordinaire : guérie une première fois par la sainte Vierge d’une tuberculose, sept années auparavant, elle avait eu quatre enfants, puis elle était retombée à la phtisie, morphinomane à cette heure, mais déjà ranimée par son premier bain, se proposant, dès le soir, d’assister à la procession aux flambeaux, avec les vingt-sept personnes de sa famille, amenées par elle. Ensuite, il y eut une femme atteinte d’aphonie nerveuse, qui, après des mois de mutité absolue, venait de recouvrer subitement la voix, au moment de la procession de quatre heures, sur le passage du Saint Sacrement.

— Messieurs, déclara le docteur Bonamy, avec la bonne grâce affectée d’un savant aux idées larges, vous savez que nous ne retenons pas les cas, dès qu’il s’agit d’une affection nerveuse. Remarquez pourtant que cette femme a été soignée pendant six mois à la Salpêtrière et qu’elle a dû venir ici pour voir sa langue se délier tout d’un coup.