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Les trois hommes continuèrent à causer entre eux, s’isolant, parlant d’abord médecine, puis glissant à une discussion sur l’architecture romane, au sujet d’un clocher aperçu sur un coteau, et que tous les pèlerins avaient salué d’un signe de croix. Au milieu de ce pauvre monde souffrant, de ces simples d’esprit hébétés de misère, le jeune prêtre et ses deux compagnons s’oubliaient, repris par les habitudes de leur intelligence cultivée. Une heure s’écoula, deux autres cantiques venaient d’être chantés, on avait franchi les stations de Toury et des Aubrais, lorsque, à Beaugency, ils cessèrent enfin leur conversation, en entendant sœur Hyacinthe qui, après avoir tapé dans ses mains, commençait elle-même, de sa voix fraîche et sonore :

Parce, Domine, parce populo tuo…

Et le chant reprit, toutes les voix s’unirent, ce flot sans cesse renaissant de prières, qui engourdissait la douleur, exaltait l’espoir, envahissait peu à peu tout l’être harassé de la hantise des grâces et des guérisons, qu’on allait chercher si loin.

Mais, comme Pierre se rasseyait, il vit Marie très pâle, les yeux fermés ; et, pourtant, à la contraction douloureuse de son visage, il comprenait bien qu’elle ne dormait pas.

— Est-ce que vous souffrez davantage ?

— Oh ! oui, affreusement. Jamais je n’irai au bout. Ce sont ces cahots continuels…

Elle gémit, rouvrit les paupières. Et elle restait sur son séant, défaillante, à regarder les autres malades. Justement, dans le compartiment voisin, en face de M. Sabathier, la Grivotte, jusque-là étendue sans un souffle, comme morte, venait de se soulever. C’était une grande fille qui avait dépassé la trentaine, déhanchée, singulière, au visage rond et ravagé, que ses cheveux crépus et ses yeux de flamme rendaient presque belle. Elle était phtisique au troisième degré.