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yeux, deux grosses larmes coulaient de ses paupières closes, tandis qu’on le rhabillait.

Pierre, ensuite, reconnut le petit Gustave Vigneron qui entrait, avec sa béquille, pour prendre son premier bain. À la porte, la famille venait de s’agenouiller, le père, la mère, la tante, madame Chaise, tous les trois cossus et d’une dévotion exemplaire. On chuchotait dans la foule, on disait que c’était un employé supérieur du ministère des Finances. Mais, comme l’enfant commençait à se déshabiller, il y eut une rumeur, le père Fourcade et le père Massias parurent, en donnant l’ordre de suspendre les immersions. Le grand miracle allait être tenté, la faveur extraordinaire sollicitée ardemment depuis le matin, la résurrection de l’homme.

Dehors, les prières continuaient, un furieux appel de voix qui se perdaient au ciel, dans la chaude après-midi d’été. Et une civière couverte entra, que les deux brancardiers déposèrent au milieu de la salle. Le baron Suire, président de l’Hospitalité, suivait, ainsi que Berthaud, un des chefs de service ; car l’aventure remuait tout le personnel, et il y eut quelques mots échangés à voix basse, entre ces messieurs et les deux pères de l’Assomption. Puis, ceux-ci tombèrent à genoux, les bras en croix, priant, la face illuminée, transfigurée par leur brûlant désir de voir se manifester l’omnipotence de Dieu.

— Seigneur, écoutez-nous !… Seigneur, exaucez-nous !

On venait d’emporter M. Sabathier, il n’y avait plus là d’autres malades que le petit Gustave, à moitié dévêtu, oublié sur une chaise. Les rideaux de la civière furent tirés, le cadavre de l’homme apparut, déjà rigide, comme réduit et aminci, avec ses grands yeux qui étaient restés obstinément ouverts. Mais il fallait le déshabiller, car il avait encore ses vêtements, et cette besogne terrible fit hésiter un moment les hospitaliers. Pierre remarqua que le marquis de Salmon-Roquebert, si dévoué aux