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plaie un mouchoir qu’elle imbibait, comme une éponge ; et, autour d’elle, la foule se ruait dans une telle fièvre, que les gens ne remarquaient plus son visage de monstre, se lavaient et buvaient au canon même où elle mouillait son mouchoir.

Mais, à ce moment, Gérard qui passait, traînant aux piscines M. Sabathier, appela Pierre, qu’il voyait inoccupé. Et il lui demanda de le suivre, pour donner un coup de main ; car l’ataxique n’allait pas être commode à remuer et à descendre dans l’eau. Ce fut ainsi que Pierre demeura près d’une demi-heure dans la piscine des hommes, où il était resté avec le malade, pendant que Gérard retournait à la Grotte en chercher un autre. Cette piscine lui parut bien aménagée. Elle consistait en trois cases, en trois baignoires, où l’on descendait par des marches, et que séparaient des cloisons : l’entrée de chacune était garnie d’un rideau de toile, qu’on pouvait tirer pour isoler le malade. En avant, se trouvait une salle commune, une pièce dallée, meublée seulement d’un banc et de deux chaises, qui servait de salle d’attente. Les malades s’y déshabillaient, se rhabillaient ensuite, avec une hâte gauche, un souci inquiet de pudeur. Un homme était là, nu encore, s’enveloppant à demi dans le rideau, pour remettre un bandage, de ses mains tremblantes. Un autre, un phtisique, d’une effrayante maigreur, grelottait avec un râle, la peau grise, zébrée de taches violettes. Mais Pierre frémit en voyant le frère Isidore qu’on retirait d’une baignoire : il était inanimé, on le crut mort, puis il recommença à pousser des plaintes ; et c’était une pitié affreuse, ce grand corps desséché par la souffrance, pareil à un lambeau humain jeté sur l’étal, troué à la hanche d’une plaie. Les deux hospitaliers qui venaient de le baigner, avaient toutes les peines du monde à lui remettre sa chemise, car ils craignaient de le voir s’éteindre, dans une secousse trop brusque.