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fillette sur les bras, sa misérable et adorée fillette qu’on avait plongée évanouie dans l’eau froide, et dont la pauvre petite figure, mal essuyée encore, restait aussi pâle, les yeux fermés, plus douloureuse et plus morte. La mère, crucifiée par cette longue agonie, désespérée du refus de la sainte Vierge, insensible au mal de son enfant, sanglotait. Et, de nouveau, lorsque madame Vêtu entra à son tour, avec un emportement de mourante qui va boire la vie, le cri obsédant éclata, sans découragement ni lassitude : « Seigneur, guérissez nos malades !… Seigneur, guérissez nos malades !… » Le capucin s’était abattu la face contre le sol, et la foule, les bras en croix, hurlante, mangeait la terre de baisers.

Pierre voulut rejoindre madame Vincent, pour lui dire une bonne parole de consolation ; mais un flot de pèlerins l’empêcha de passer, le rejeta vers la fontaine, qu’une autre cohue assiégeait. C’était toute une construction basse, un long mur de pierre, au chaperon taillé ; et, malgré les douze robinets, qui coulaient dans l’étroit bassin, des queues avaient dû s’établir. Beaucoup emplissaient là des bouteilles, des bidons de fer-blanc, des cruches de grès. Pour éviter la trop grande perte d’eau, chaque robinet ne fonctionnait que sous l’action d’un bouton. Aussi, avec leurs frêles mains, des femmes s’attardaient-elles, en s’inondant les pieds. Celles qui n’avaient pas de bidons à remplir, venaient boire et se laver le visage. Pierre remarqua un jeune homme qui buvait sept petits verres et qui se lavait sept fois les yeux, sans s’essuyer. D’autres buvaient dans des coquillages, des timbales d’étain, des poches de cuir. Et il fut surtout intéressé par le spectacle d’Élise Rouquet qui, jugeant inutile d’aller aux piscines, pour la plaie affreuse dont sa face était rongée, se contentait, depuis le matin, de se lotionner à la fontaine, toutes les heures. Elle s’agenouillait, écartait le fichu, appliquait longuement sur la