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encourager la jeune fille d’une bonne parole, par-dessus la cloison. Sœur Hyacinthe se leva de nouveau, elle aussi, tapa gaiement dans ses mains, afin de se faire entendre et obéir, d’un bout du wagon à l’autre.

— Allons, allons ! ne songeons pas à nos bobos. Prions et chantons, la sainte Vierge sera avec nous.

Elle-même entama le Rosaire, d’après les paroles de Notre-Dame de Lourdes ; et tous les malades et les pèlerins la suivirent. C’était le premier chapelet, les cinq mystères joyeux, l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, la Purification et Jésus retrouvé. Puis, tous entonnèrent le cantique : « Contemplons le céleste archange… » Les voix se brisaient dans le grondement des roues, on n’entendait que la houle assourdie de ce troupeau, qui étouffait au fond du wagon fermé, roulant sans fin.

Bien qu’il pratiquât, M. de Guersaint ne pouvait jamais aller jusqu’au bout d’un cantique. Il se levait, se rasseyait. Il finit par s’accouder à la cloison et par causer, à demi-voix, avec un malade assis contre cette cloison même, dans le compartiment voisin. M. Sabathier était un homme d’une cinquantaine d’années, trapu, la tête grosse et bonne, complètement chauve. Depuis quinze ans, il était frappé d’ataxie, ne souffrant que par accès, mais les jambes prises, complètement perdues ; et sa femme, qui l’accompagnait, les lui déplaçait comme des jambes mortes, quand elles finissaient par trop lui peser, pareilles à des lingots de plomb.

— Oui, monsieur, tel que vous me voyez, je suis un ancien professeur de cinquième du lycée Charlemagne. D’abord, j’ai cru à une simple sciatique. Puis, j’ai eu les douleurs fulgurantes, vous savez, les coups d’épée rouge dans les muscles. Pendant près de dix années, j’ai été peu à peu envahi, j’ai consulté tous les médecins, je suis allé à toutes les eaux imaginables ; et, maintenant, je souffre moins, mais je ne peux plus bouger de mon fauteuil…