Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée

goûtait là une fraîcheur délicieuse, sous les ombrages, au bord des eaux courantes.

Et Pierre, tout de suite, se sentit reposé, comme au sortir d’un rêve pénible. Il s’interrogeait, s’inquiétait de ses sensations. Le matin, n’était-il donc pas arrivé à Lourdes avec le désir de croire, l’idée que déjà il recommençait à croire, ainsi qu’aux années dociles de son enfance, lorsque sa mère lui faisait joindre les mains, en lui apprenant à craindre Dieu ? Et, dès qu’il s’était trouvé devant la Grotte, voilà que l’idolâtrie du culte, la violence de la foi, l’assaut contre la raison, venaient de l’incommoder jusqu’à la défaillance ! Qu’allait-il donc devenir ? Ne pourrait-il même tenter de combattre son doute, en utilisant son voyage, de façon à voir et à se convaincre ? C’était un début décourageant, dont il restait troublé ; et il fallait ces beaux arbres, ce torrent si limpide, cette avenue si calme et si fraîche, pour le remettre de la secousse.

Puis, comme Pierre atteignait le bout de l’allée, il fit une rencontre imprévue. Depuis quelques secondes, il regardait un grand vieillard qui venait à lui, boutonné étroitement dans une redingote, coiffé d’un chapeau à bords plats ; et il cherchait à se rappeler ce visage pâle, au nez d’aigle, aux yeux très noirs et pénétrants. Mais la longue barbe blanche, les boucles blanches des longs cheveux, le déroutaient. Le vieillard s’arrêta, l’air étonné, lui aussi.

— Comment ! Pierre, c’est vous, à Lourdes !

Et, brusquement, le jeune prêtre reconnut le docteur Chassaigne, l’ami de son père, son vieil ami à lui-même, qui l’avait guéri, puis réconforté, dans sa terrible crise physique et morale, au lendemain de la mort de sa mère.

— Ah ! mon bon docteur, que je suis content de vous voir !

Tous deux s’embrassèrent, avec une grande émotion. Maintenant,