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— Comment ! vous voilà encore ? Vous tenez donc bien à vivre cette exécrable vie ?… Mais, sacrebleu ! mourez donc tranquillement chez vous, dans votre lit ! Est-ce que ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur au monde ?

M. Sabathier riait, sans se fâcher, brisé pourtant par la façon rude dont il avait fallu le descendre.

— Non, non, j’aime mieux guérir !

— Guérir, guérir, ils demandent tous cela ! Faire des centaines de lieues, arriver en morceaux, hurlant de souffrance, et pour guérir, et pour recommencer toutes les peines, toutes les douleurs !… Voyons, vous, monsieur, à votre âge, avec votre corps en ruine, vous seriez bien attrapé, si votre sainte Vierge vous rendait les jambes. Qu’est-ce que vous en feriez, mon Dieu ? Quelle joie trouveriez-vous à prolonger, pendant quelques années encore, l’abomination de la vieillesse ?… Eh ! pendant que vous y êtes, mourez donc tout de suite ! C’est le bonheur !

Et il disait cela, non pas en croyant qui aspire à la récompense de l’autre vie, mais en homme las qui compte tomber au néant, à la grande paix éternelle de n’être plus.

Pendant que M. Sabathier haussait les épaules, comme s’il avait eu affaire à un enfant, l’abbé Judaine, qui venait enfin de retrouver sa bannière, s’arrêta au passage pour gronder doucement le Commandeur, qu’il connaissait, lui aussi.

— Ne blasphémez pas, cher monsieur, c’est offenser le ciel, que de refuser la vie et que de ne pas aimer la santé. Vous-même, si vous m’aviez cru, vous auriez déjà demandé à la sainte Vierge la guérison de votre jambe.

Alors, le Commandeur s’emporta.

— Ma jambe ! elle n’y peut rien, je suis tranquille ! Et que la mort vienne donc, et que ce soit fini, à jamais !… Quand il faut mourir, on se tourne contre le mur, et l’on meurt, c’est si simple !