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qui lui restaient, et n’emporter qu’une bouteille de lait pour l’enfant, sans même songer à s’acheter pour elle un morceau de pain.

— Quelle maladie a-t-elle donc, la chère petite ? reprit la dame.

— Oh ! madame, c’est bien sûr le carreau. Mais les médecins ont des noms à eux… D’abord, elle n’a eu que des petits maux de ventre. Ensuite, le ventre s’est gonflé, et elle souffrait, oh ! si fort, à vous arracher les larmes des yeux. Maintenant, le ventre s’est aplati ; seulement, elle n’existe plus, elle n’a plus de jambes, tant elle est maigre ; et elle s’en va en sueurs continuelles…

Puis, comme Rose avait gémi en ouvrant les paupières, la mère se pencha, bouleversée, pâlissante.

— Mon bijou, mon trésor, qu’est-ce que tu as ?… Veux-tu boire ?

Mais déjà la fillette, dont on venait de voir les yeux vagues, d’un bleu de ciel brouillé, les refermait ; et elle ne répondit même pas, retombée à son anéantissement, toute blanche dans sa robe blanche, une coquetterie suprême de la mère, qui avait voulu cette dépense inutile, dans l’espoir que la Vierge serait plus douce pour une petite malade bien mise et toute blanche.

Au bout d’un silence, madame Vincent reprit :

— Et vous, madame, c’est pour vous que vous allez à Lourdes ?… On voit bien que vous êtes malade.

Mais la dame s’effara, rentra douloureusement dans son coin, en murmurant :

— Non, non ! je ne suis pas malade… Plût à Dieu que je fusse malade ! Je souffrirais moins.

Elle se nommait madame Maze, avait au cœur un inguérissable chagrin. Après avoir fait un mariage d’amour avec un gros garçon réjoui, la lèvre en fleur, elle s’était vue abandonnée, au bout d’un an de lune de miel. Toujours en tournée, voyageant pour la bijouterie, son mari,