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des hommes de toutes les classes, spécialement des jeunes gens du meilleur monde, portant sur leur vêtement la croix rouge lisérée d’orange et la bretelle de cuir jaune. Beaucoup avaient adopté le béret, la coiffure commode du pays. Quelques-uns, équipés comme pour une expédition lointaine, avaient de belles guêtres montant jusqu’aux genoux. Et les uns fumaient, tandis que les autres, installés dans leurs petites voitures, dormaient ou lisaient un journal, à la lueur des becs de gaz voisins. Il y en avait un groupe, à l’écart, qui discutaient une question de service.

Brusquement, les brancardiers saluèrent. Un homme paterne arrivait, tout blanc, à la figure épaisse et bonne, aux gros yeux bleus d’enfant crédule. C’était le baron Suire, une des grandes fortunes de Toulouse, président de l’Hospitalité de Notre-Dame de Salut.

— Où est Berthaud ? demandait-il à chacun d’un air affairé, où est Berthaud ? Il faut que je lui parle.

Chacun répondait, donnait un renseignement contraire. Berthaud était le directeur des brancardiers. Les uns venaient de voir monsieur le directeur avec le révérend père Fourcade, d’autres affirmaient qu’il devait être dans la cour de la gare, à visiter les voitures d’ambulance.

— Si monsieur le président désire que nous allions chercher monsieur le directeur…

— Non, non, merci ! je le trouverai bien moi-même.

Et, pendant ce temps, Berthaud, qui venait de s’asseoir sur un banc, à l’autre extrémité de la gare, causait avec son jeune ami Gérard de Peyrelongue, en attendant l’arrivée du train. C’était un homme d’une quarantaine d’années, à belle figure large et régulière, qui avait gardé ses favoris soignés de magistrat. Appartenant à une famille légitimiste militante, et lui-même d’opinions très réactionnaires, il était procureur de la république dans une ville du Midi, depuis le 24 mai, lorsque, au lendemain des décrets