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Il questionnait maintenant le docteur, tout en s’appuyant à son épaule.

— Combien avez-vous eu de pèlerins, l’année dernière ?

— Deux cent mille environ. Cette moyenne se maintient… L’année du couronnement de la Vierge, le nombre s’est élevé à cinq cent mille. Mais il fallait une occasion exceptionnelle, un effort de propagande considérable. Naturellement, de pareilles foules ne se retrouvent pas.

Il y eut un silence, puis le père murmura :

— Sans doute… L’œuvre est bénie, elle prospère de jour en jour, nous avons réuni près de deux cent cinquante mille francs d’aumônes pour ce voyage ; et Dieu sera avec nous, vous aurez demain des guérisons nombreuses à constater, j’en suis convaincu.

Puis, s’interrompant :

— Est-ce que le père Dargelès n’est pas venu ?

Le docteur Bonamy eut un geste vague, pour dire qu’il l’ignorait. Ce père Dargelès était chargé de la rédaction du Journal de la Grotte. Il appartenait à l’ordre des pères de l’Immaculée-Conception, installés à Lourdes par l’évêché, et qui étaient les maîtres absolus. Mais, lorsque les pères de l’Assomption amenaient de Paris le pèlerinage national, auquel se joignaient les fidèles des villes de Cambrai, Arras, Chartres, Troyes, Reims, Sens, Orléans, Blois, Poitiers, ils mettaient une sorte d’affectation à disparaître complètement : on ne les voyait plus, ni à la Grotte, ni à la Basilique ; ils semblaient livrer toutes les clefs, avec toutes les responsabilités. Leur supérieur, le père Capdebarthe, un grand corps noueux, taillé à coups de serpe, une sorte de paysan dont le visage fruste gardait le reflet roux et morne de la terre, ne se montrait même pas. Il n’y avait que le père Dargelès, petit et insinuant, qu’on rencontrait partout, en quête de notes pour le journal. Seulement, si les pères de l’Immaculée-