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— Non, mon révérend père, dix minutes au plus. Il sera ici à la demie… Mais ce qui m’inquiète, c’est le train de Bayonne, qui devrait être passé.

Et il reprit sa course, pour donner un ordre ; puis, il revint, maigre et nerveux, agité, dans ce coup de fièvre qui le tenait debout, durant des nuits et des jours, au moment des grands pèlerinages. Ce matin-là, il attendait, en dehors du service habituel, dix-huit trains, plus de quinze mille voyageurs. Le train gris et le train bleu, partis les premiers de Paris, étaient déjà arrivés, à l’heure réglementaire. Mais le retard du train blanc aggravait tout, d’autant plus que l’express de Bayonne, lui non plus, n’était pas signalé ; et l’on comprenait la continuelle surveillance nécessaire, l’alerte de chaque seconde, où vivait le personnel.

— Dans dix minutes, alors ? répéta le père Fourcade.

— Oui, dans dix minutes, à moins qu’on ne soit obligé de fermer la voie ! jeta le chef de gare, qui courait au télégraphe.

Lentement, le religieux et le médecin reprirent leur promenade. Leur étonnement était qu’il ne fût jamais arrivé d’accident sérieux, au milieu d’une telle bousculade. Autrefois surtout, régnait un incroyable désordre. Et le père se plut à rappeler le premier pèlerinage qu’il avait organisé et conduit, en 1875 : le terrible, l’interminable voyage, sans oreillers, sans matelas, avec des malades à demi morts, qu’on ne savait comment ranimer ; puis, l’arrivée à Lourdes, le déballage pêle-mêle, pas le moindre matériel préparé, ni bretelles, ni brancards, ni voitures. Aujourd’hui, existait une organisation puissante, des hôpitaux attendaient les malades, qu’on n’était plus réduit à coucher sous des hangars, dans de la paille. Quelle secousse pour ces misérables ! Quelle force de volonté chez l’homme de foi qui les menait au miracle ! Et le père souriait doucement à l’œuvre qu’il avait faite.