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propre, envahie par son rêve, possédée à ce point par lui, dans le milieu étroit et spécial où elle vivait, qu’elle le continuait même éveillée, qu’elle l’acceptait comme la seule réalité indiscutable, prête à la confesser au prix de son sang, la répétant sans fin et s’y obstinant, avec des détails invariables. Elle ne mentait pas, car elle ne savait pas, ne pouvait pas, ne voulait pas vouloir autre chose.

Pierre, maintenant, s’oubliait à faire une peinture charmante de l’ancien Lourdes, de cette petite ville pieuse, endormie au pied des Pyrénées. Autrefois, le Château, bâti sur son rocher au carrefour des sept vallées du Lavedan, était la clef des montagnes. Mais, aujourd’hui, démantelé, il n’était plus qu’une masure tombant en ruine, à l’entrée d’une impasse. La vie moderne venait buter là, contre le formidable rempart des grands pics neigeux ; et, seul, le chemin de fer transpyrénéen, si on l’avait construit, aurait pu établir une active circulation de la vie sociale, dans ce coin perdu, où elle stagnait comme une eau morte. Oublié donc, Lourdes sommeillait, heureux et lent, au milieu de sa paix séculaire, avec ses rues étroites, pavées de cailloux, ses maisons noires, aux encadrements de marbre. Les vieilles toitures se massaient toutes encore à l’est du Château ; la rue de la Grotte, qui s’appelait la rue du Bois, n’était qu’un chemin désert, impraticable ; aucune maison ne descendait jusqu’au Gave, roulant alors ses eaux écumeuses à travers l’absolue solitude des saules et des hautes herbes. Sur la place du Marcadal, on voyait de rares passants en semaine, des ménagères qui se hâtaient, des petits rentiers promenant leurs loisirs ; et il fallait attendre le dimanche ou les jours de foire, pour trouver, au Champ commun, la population endimanchée, la foule des éleveurs descendue des lointains plateaux, avec leurs bêtes. Pendant la saison des Eaux, le passage des baigneurs de