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vêtue de blanc, d’azur et d’or, si aimable, qu’elle la revoyait parfois dans ses rêves. Mais la Bible était encore le livre qu’on lisait le plus souvent, une vieille Bible jaunie par l’usage, depuis plus de cent ans dans la famille ; et, chaque soir de veillée, le père nourricier, qui seul avait appris à lire, prenait une épingle, la plantait au hasard, commençait la lecture en haut de la page de droite, au milieu de la profonde attention des femmes et des enfants, qui finissaient par savoir et qui auraient pu continuer, sans se tromper d’un mot.

Bernadette préférait les livres pieux, où la sainte Vierge passait avec son accueillant sourire. Pourtant, une lecture l’amusa aussi, celle de la merveilleuse histoire des Quatre Fils Aymon. Sur la couverture jaune du petit livre, tombé là de la balle de quelque colporteur égaré, on voyait, en une gravure naïve, les quatre preux, Renaud et ses frères, montés tous les quatre sur Bayard, leur fameux cheval de bataille, dont la fée Orlande leur avait fait le royal cadeau. Et c’étaient des combats sanglants, des constructions et des sièges de forteresse, des coups d’épée terribles entre Roland et Renaud, qui allait enfin délivrer la Terre Sainte, sans oublier le magicien Maugis aux merveilleux enchantements, ni la princesse Clarisse, sœur du roi d’Aquitaine, plus belle que le jour. L’imagination frappée, Bernadette avait parfois de la peine à s’endormir, surtout les soirs où, délaissant les livres, quelqu’un de la compagnie disait une histoire de sorcier. Elle était très superstitieuse, jamais on ne l’aurait fait passer, après le coucher du soleil, près d’une tour du voisinage, hantée par le diable. Toute la contrée, d’ailleurs, dévote et simple d’esprit, était comme peuplée de mystères, des arbres qui chantaient, des pierres où perlait le sang, des carrefours où il fallait dire trois Pater et trois Ave, si l’on ne voulait pas rencontrer la bête aux sept cornes, qui emportait les filles à la perdition. Et quelle richesse de