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du diminutif caressant de Fine, était une de ces brunes enfants de Marseille, petites et potelées, dont les traits fins ont gardé toute la pureté délicate du type grec. Sa tête ronde s’attachait sur des épaules un peu tombantes ; son visage pâle, entre les bandeaux de ses cheveux noirs, exprimait une sorte de moquerie dédaigneuse ; on lisait une énergie passionnée dans ses grands yeux sombres que le sourire attendrissait par moments. Elle pouvait avoir vingt-deux à vingt-quatre ans.

À quinze ans, elle était restée orpheline, ayant à sa charge un frère âgé au plus d’une dizaine d’années. Elle avait bravement continué le métier de sa mère, et, trois jours après l’enterrement encore tout en larmes, elle était assise dans un kiosque du cours Saint-Louis faisant et vendant des bouquets, en poussant de gros soupirs.

La petite bouquetière devint bientôt l’enfant gâtée de Marseille. Elle eut la popularité de la jeunesse et de la grâce. Ses fleurs disait-on, avaient un parfum plus doux que celles des autres. Les galants vinrent à la file ; elle leur vendit ses roses, ses violettes, ses oeillets, et rien de plus. Et c’est ainsi qu’elle put élever son frère cadet et le faire entrer, à dix-huit ans, chez un maître portefaix.

Les deux jeunes gens demeuraient place aux Œufs, en plein quartier populaire. Cadet était maintenant un grand gaillard qui travaillait sur le port ; Fine, embellie, devenue femme, avait l’allure vive et la câlinerie nonchalante des Marseillaises.

Elle connaissait les Cayol pour leur avoir vendu des fleurs, et elle leur parlait avec cette familiarité tendre que donnent l’air tiède et le doux idiome de la Provence. Puis, s’il faut tout dire, Philippe, dans les derniers temps, lui avait si souvent acheté des roses, qu’elle avait fini par éprouver un léger frisson en sa présence. Le jeune homme, amoureux d’instinct, riait avec elle, la regardait à la faire rougir, lui adressait en courant un bout de déclaration, le tout pour ne pas perdre l’habitude