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dus étouffer mon cœur. M. de Rionne reprit ses habitudes de garçon. Je le voyais parfois aux repas, je savais qu’il m’insultait dans sa vie de chaque jour. Moi, je m’enfermais avec ma fille dans ce coin de l’hôtel ; je me dis que c’était là mon couvent, et je fis vœu d’y vivre. Parfois, tout mon être s’est révolté, et ce n’est qu’au prix de bien des souffrances cachées, que j’ai pu paraître sereine et victorieuse.

— Eh quoi ! pensait Daniel, telle est la vie ? Ma bonne sainte a souffert. Celle que je me plaisais à regarder comme une puissance supérieure, toute bienheureuse et toute divine, pleurait de misère tandis que je l’adorais à deux genoux. Il n’y a donc que douleur ? Le ciel n’épargne pas même les âmes dignes de lui. Quel monde effrayant est-ce que le nôtre ? Lorsque je songeais à elle, je me l’imaginais dans la joie et dans la paix, mise à l’abri du mal par sa bonté ; elle m’apparaissait lumineuse et sereine, comme une de ces saintes femmes qui ont des auréoles autour de la tête et des rires