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LES REPOUSSOIRS.

le sujet avait de pressants besoins d’argent, avec plus de délicatesse quand ils avaient affaire à quelque fille ne mourant point encore de faim. Il est dur, pour des gens polis, d’aller dire à une femme : « Madame, vous êtes laide ; je vous achète votre laideur à tant la journée. »

Il y eut, dans cette chasse donnée aux pauvres filles qui pleurent devant les miroirs, des épisodes mémorables. Parfois, les courtiers s’acharnaient : ils avaient vu passer, dans une rue, une femme d’une laideur idéale, et ils tenaient à la présenter à Durandeau, pour mériter les remerciements du maître. Certains eurent recours aux moyens extrêmes.

Chaque matin, Durandeau recevait et inspectait la marchandise raccolée la veille. Largement installé dans un fauteuil, en robe de chambre jaune et en calotte de satin noir, il faisait défiler devant lui les nouvelles recrues, accompagnées chacune de son courtier. Alors, il se renversait en arrière, clignait les yeux, avait des mines d’amateur contrarié ou satisfait ; il prenait lente-