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les faits déterminés, ne plus hasarder sur eux des sentiments personnels qui seraient ridicules, nous appuyer sur le terrain conquis par la science, jusqu'au bout; puis, là seulement, devant l'inconnu, exercer notre intuition et précéder la science, quittes à nous tromper parfois, heureux si nous apportons des documents pour la solution des problèmes. Je reste ici d'ailleurs dans le programme pratique de Claude Bernard, qui est forcé d'accepter l'empirisme comme un tâtonnement nécessaire. Ainsi, dans notre roman expérimental, nous pourrons très bien risquer des hypothèses sur les questions d'hérédité et sur l'influence des milieux, après avoir respecté tout ce que la science sait aujourd'hui sur la matière. Nous préparerons les voies, nous fournirons des faits d'observation, des documents humains qui pourront devenir très utiles. Un grand poète lyrique s'écriait dernièrement que notre siècle était le siècle des prophètes. Oui, si l'on veut; seulement, il doit être entendu que les prophètes ne s'appuieront ni sur l'irrationnel ni sur le surnaturel. Si les prophètes, comme cela se voit, doivent remettre en question les notions les plus élémentaires, arranger la nature à une étrange sauce philosophique et religieuse, s'en tenir à l'homme métaphysique, tout confondre et tout obscurcir, les prophètes, malgré leur génie de rhétoriciens, ne seront jamais que de gigantesques Gribouille ignorant qu'on se mouille en se jetant à l'eau. Dans nos temps de science, c'est une délicate mission que de prophétiser, parce qu'on ne croit plus aux vérités de révélation, et que, pour prévoir l'inconnu, il faut commencer par connaître le connu.