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pourris de lyrisme, nous croyons bien à tort que le grand style est fait d'un effarement sublime, toujours près de culbuter dans la démence; le grand style est fait de logique et de clarté.

Aussi Claude Bernard qui assigne aux philosophes un rôle de musiciens jouant la Marseillaise des hypothèses, pendant que les savants se ruent à l'assaut de l'inconnu, se fait-il à peu près la même idée des artistes et des écrivains. J'ai remarqué que beaucoup de savants, et des plus grands, très jaloux de la certitude scientifique qu'ils détiennent, veulent ainsi enfermer la littérature dans l'idéal. Eux-mêmes semblent éprouver le besoin d'une récréation de mensonge, après leurs travaux exacts, et se plaisent aux hypothèses les plus risquées, aux fictions qu'ils savent parfaitement fausses et ridicules. C'est un air de flûte qu'ils permettent qu'on leur joue. Ainsi, Claude Bernard a eu raison de dire: «Les productions littéraires et artistiques ne vieillissent jamais, en ce sens qu'elles sont des expressions de sentiments immuables comme la nature humaine.» En effet, la forme suffit pour immortaliser une œuvre; le spectacle d'une individualité puissante interprétant la nature en un langage superbe, restera intéressant pour tous les âges; seulement, on lira toujours aussi un grand savant à ce même point de vue, parce que le spectacle d'un grand savant qui a su écrire est tout aussi intéressant que celui d'un grand poète. Ce savant aura eu beau se tromper dans ses hypothèses, il demeure sur un pied d'égalité avec le poète, qui à coup sûr s'est trompé également. Ce qu'il faut dire, c'est que notre domaine n'est pas fait uniquement des sentiments immuables comme la nature humaine,