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une opération d’esprit. La pièce est exaltée ou éreintée, parce qu’elle passe par les passions personnelles du critique. La bienveillance outrée a plusieurs causes, dont voici les principales : le respect des situations acquises, la camaraderie, née de relations entre confrères, enfin l’indifférence absolue, la longue expérience que la franchise ne sert à rien.

Le respect des situations acquises vient d’un sentiment conservateur. On plie l’échine devant un auteur arrivé, comme on la plie devant un ministre qui est au pouvoir ; et même, s’il a une heure de bêtise, on la cache soigneusement, parce qu’il n’est pas prudent de déranger les idées de la foule et de lui faire entendre qu’un homme puissant, maître du succès, peut se tromper comme le dernier des pleutres. Cela affaiblirait le principe de l’autorité. On doit veiller au maintien du respect, si l’on ne veut pas être débordé par les révolutionnaires. Donc, on lance son coup de chapeau quand même, on pousse la foule sur le trottoir banal, en lui déguisant l’ennui de la promenade.

La camaraderie est bien forte, elle aussi. On a dîné la veille avec l’auteur dans une maison charmante ; on doit déjeuner le lendemain avec lui, chez un ancien ami de collège. Tout l’hiver, on le rencontre ; on ne peut entrer dans un salon sans le voir et sans lui serrer la main. Alors, comment voulez-vous qu’on lui dise brutalement que sa pièce est détestable ? Il verrait là une trahison, on mettrait dans l’embarras tous les braves gens qui vous reçoivent l’un et l’autre. Le pis est qu’il a murmuré à votre oreille :

—Je compte sur vous.

Et il peut y compter, en vérité, car jamais on n’a le courage de dire toute la vérité à cet homme. Les critiques