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Des génies de tempéraments différents l’avaient appuyée de leurs chefs-d’œuvre. Aussi, la voyons-nous s’imposer longtemps encore, même lorsque des talents de second ordre ne produisent plus que des œuvres inférieures. Elle avait la force acquise, elle continuait d’ailleurs à être l’expression littéraire de la société du temps, et rien n’aurait pu la renverser, si la société elle-même n’avait pas disparu. Après la Révolution, après cette perturbation profonde qui allait tout transformer et accoucher d’un monde nouveau, la tragédie agonise pendant quelques années encore. Puis, la formule craque et le Romantisme triomphe, une nouvelle formule s’affirme. Il faut se reporter à la première moitié du siècle, pour avoir le sens exact de ce cri de liberté. La jeune société était dans le frisson de son enfantement. Les esprits surexcités, dépaysés, élargis violemment, restaient secoués d’une fièvre dangereuse et le premier usage de la liberté conquise était de se lamenter, de rêver les aventures prodigieuses, les amours surhumains. On bâillait aux étoiles, l’on se suicidait, réaction très curieuse contre l’affranchissement social qui venait d’être proclamé au prix de tant de sang. Je m’en tiens à la littérature dramatique, je constate que le romantisme fut au théâtre une simple émeute, l’invasion d’une bande victorieuse, qui entrait violemment sur la scène, tambours battants et drapeau déployé. Dans cette première heure, les combattants songèrent surtout à frapper les esprits par une forme neuve ; ils opposèrent une rhétorique à une rhétorique, le moyen âge à l’antiquité, l’exaltation de la passion à l’exaltation du devoir. Et ce fut tout, car les conventions scéniques ne firent que se déplacer,