L’auteur italien, au contraire, ne paraît pas avoir songé un instant qu’il pourrait tirer un effet du retour du forçat. Son forçat entre, s’asseoit et cause, à peu près comme cela se passerait dans la réalité. Il a, plus tard, deux scènes avec Emma. La jeune fille a peur de lui, ce qui est naturel. Et voilà tout, cela suffit à serrer les cœurs d’une profonde émotion.
Chaque épisode est traité avec cette simplicité, dans la Mort civile. L’intrigue, sans aucune complication, va d’un bout à l’autre de la pièce. Rien n’y a été introduit pour satisfaire le mauvais goût du gros public. Conrad n’est pas innocent comme Jean Renaud ; il a tué un homme, le propre frère de sa femme, et sa figure grandit de ce meurtre ; il n’est pas ce pantin persécuté de notre mélodrame, dont l’innocence doit éclater au cinquième acte.
Remarquez que la Mort civile a eu en Italie un immense succès. Aucune traduction française n’existe, et je crois que le drame traduit ferait de maigres recettes à la Porte-Saint-Martin1. C’est que notre public est pourri maintenant. Il lui faut de grandes machines compliquées. On l’a mis au régime du roman-feuilleton et des mélodrames où les ducs et les forçats s’embrassent. La plupart des critiques eux-mêmes font du théâtre une chose bête, où le talent d’écrivain n’est pas nécessaire, où il faut manquer d’observation, d’analyse et de style, pour faire des chefs-d’œuvre. Le théâtre, disent ils, c’est ça ; et il semble qu’ils professent un cours d’ébénisterie. Donner des règles au néant, c’est le comble.
Note 1 : Depuis que cet article a été écrit, M. Auguste Vitu a fait jouer à l’Odéon une traduction de la Mort civile qui n’a eu aucun succès.