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roulant ses gros yeux, regardait fixement le vide, enfoncé dans la muette obstination de son crâne étroit. Puis, lorsque l’autre tâcha de le questionner sur sa haine contre Burle, il répéta sa phrase, en l’accompagnant du même geste vague.

— Il m’embêtait. Tant pis !

Chaque matin, à la cantine, à la pension des officiers, la première parole était : « Eh bien ! est-elle arrivée, cette démission ? » On attendait le duel, on en discutait surtout l’issue probable. Le plus grand nombre croyait que Laguitte serait embroché en trois secondes, car c’était absurde de vouloir se battre à son âge, avec une jambe paralysée, qui ne lui permettrait seulement pas de se fendre. Quelques-uns pourtant hochaient la tête. Certes, Laguitte n’avait jamais été un prodige d’intelligence ; on le citait même, depuis vingt ans, pour sa stupidité ; mais, autrefois, il était connu comme le premier tireur du régiment ; et, parti enfant de troupe, il avait gagné ses épaulettes de chef de bataillon par une bravoure d’homme sanguin qui n’a pas conscience du danger. Au contraire, Burle, tireur médiocre, passait pour un poltron. Enfin, il faudrait voir. Et l’émotion grandissait, car cette diablesse de démission restait bien longtemps en route.