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dans cette nappe, pour mesurer aux bouillons de l’eau la profondeur du trou ! Il eut une dernière tension de volonté, il traversa le pont.

Oui, c’était bien là. Julien reconnaissait la dalle, polie par ses longues stations. Il se pencha, il vit la nappe avec les fossettes rapides qui dessinaient des sourires. C’était là, et il se déchargea sur le parapet. Avant de jeter le petit Colombel, il avait un irrésistible besoin de le regarder une dernière fois. Les yeux de tous les bourgeois de la ville, ouverts sur lui, ne l’auraient pas empêché de se satisfaire. Il resta quelques secondes face à face avec le cadavre. Le trou de la tempe avait noirci. Une charrette, au loin, dans la campagne endormie, faisait un bruit de gros sanglots. Alors, Julien se hâta ; et, pour éviter un plongeon trop bruyant, il reprit le corps, l’accompagna dans sa chute. Mais il ne sut comment, les bras du mort se nouèrent autour de son cou, si rudement, qu’il fût entraîné lui-même. Il se rattrapa par miracle à une saillie. Le petit Colombel avait voulu l’emmener.

Lorsqu’il se retrouva assis sur la dalle, il fut pris d’une faiblesse. Il demeurait là, brisé, l’échine pliée, les jambes pendantes, dans l’attitude molle de promeneur fatigué qu’il y avait eue si souvent. Et il contemplait la nappe dormante, où reparaissaient