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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

la grande horloge, à gauche du chœur, battait lentement, avec une haleine grosse de mécanique endormie. Et la vision radieuse, la Mère aux minces bandeaux de cheveux châtains, comme rassurée par la paix nocturne de la nef, descendait davantage, courbait à peine l’herbe des clairières, sous le vol léger de son nuage.

L’abbé Mouret la regardait. C’était l’heure où il aimait l’église. Il oubliait le Christ lamentable, le supplicié barbouillé d’ocre et de laque, qui agonisait derrière lui, à la chapelle des Morts. Il n’avait plus la distraction de la clarté crue des fenêtres, des gaietés du matin entrant avec le soleil, de la vie du dehors, des moineaux et des branches envahissant la nef par les carreaux cassés. À cette heure de nuit, la nature était morte, l’ombre tendait de crêpe les murs blanchis, la fraîcheur lui mettait aux épaules un cilice salutaire ; il pouvait s’anéantir dans l’amour absolu, sans que le jeu d’un rayon, la caresse d’un souffle ou d’un parfum, le battement d’une aile d’insecte, vînt le tirer de sa joie d’aimer. Sa messe du matin ne lui avait jamais donné les délices surhumaines de ses prières du soir.

Les lèvres balbutiantes, l’abbé Mouret regardait la grande Vierge. Il la voyait venir à lui, du fond de sa niche verte, dans une splendeur croissante. Ce n’était plus un clair de lune roulant à la cime des arbres. Elle lui semblait vêtue de soleil, elle s’avançait majestueusement, glorieuse, colossale, si toute-puissante, qu’il était tenté, par moments, de se jeter la face contre terre, pour éviter le flamboiement de cette porte ouverte sur le ciel. Alors, dans cette adoration de tout son être, qui faisait expirer les paroles sur sa bouche, il se souvint du dernier mot de Frère Archangias, comme d’un blasphème. Souvent le Frère lui reprochait cette dévotion particulière à la Vierge, qu’il disait être un véritable vol fait à la dévotion de Dieu. Selon lui, cela amol-