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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

d’être mené droit ; la Teuse faisait bien de lui faire sentir la bride. Il vida un dernier verre de piquette, se renversa sur sa chaise, digérant.

— Enfin, demanda la vieille servante, qu’est-ce que vous avez vu, au Paradou ? Racontez-nous, au moins.

L’abbé Mouret, souriant, dit en peu de mots la singulière façon dont Jeanbernat l’avait reçu. La Teuse, qui l’accablait de questions, poussait des exclamations indignées. Frère Archangias serra les poings, les brandit en avant.

— Que le ciel l’écrase ! dit-il ; qu’il les brûle, lui et sa sorcière !

Alors, l’abbé, à son tour, tâcha d’avoir de nouveaux détails sur les gens du Paradou. Il écoutait avec une attention profonde le Frère qui racontait des faits monstrueux.

— Oui, cette diablesse est venue un matin s’asseoir à l’école. Il y a longtemps, elle pouvait avoir dix ans. Moi, je la laissai faire ; je pensai que son oncle l’envoyait pour sa première communion. Pendant deux mois, elle a révolutionné la classe. Elle s’était fait adorer, la coquine ! Elle savait des jeux, elle inventait des falbalas avec des feuilles d’arbre et des bouts de chiffon. Et intelligente, avec cela, comme toutes ces filles de l’enfer ! Elle était la plus forte sur le catéchisme… Voilà qu’un matin, le vieux tombe au beau milieu des leçons. Il parlait de casser tout, il criait que les prêtres lui avaient pris l’enfant. Le garde champêtre a dû venir pour le flanquer à la porte. La petite s’était sauvée. Je la voyais, par la fenêtre, dans un champ, en face, rire de la fureur de son oncle… Elle venait d’elle-même à l’école, depuis deux mois, sans qu’il s’en doutât. Histoire de faire battre les montagnes.

— Jamais elle n’a fait sa première communion, dit la Teuse, à demi-voix, avec un léger frisson.

— Non, jamais, reprit Frère Archangias. Elle doit avoir seize ans. Elle grandit comme une bête. Je l’ai vue cou-