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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

êtes revenu tout doucement ? Il devait faire diablement chaud sur la route ?

L’abbé, qui s’était levé, ne répondit pas. Il allait parler du Paradou, demander des renseignements. Mais la crainte d’être questionné trop vivement, une sorte de honte vague qu’il ne s’avouait pas à lui-même, le firent garder le silence sur sa visite à Jeanbernat. Il coupa court à tout nouvel interrogatoire, en demandant :

— Et ma sœur, où est-elle donc ? Je ne l’entends pas.

— Venez, monsieur, dit la Teuse qui se mit à rire, un doigt sur la bouche.

Ils entrèrent dans la pièce voisine, un salon de campagne, tapissé d’un papier à grandes fleurs grises déteintes, meublé de quatre fauteuils et d’un canapé tendus d’une étoffe de crin. Sur le canapé, Désirée dormait, jetée tout de son long, la tête soutenue par ses deux poings fermés. Ses jupes pendaient, lui découvrant les genoux ; tandis que ses bras levés, nus jusqu’aux coudes, remontaient les lignes puissantes de la gorge. Elle avait un souffle un peu fort, entre ses lèvres rouges entr’ouvertes, montrant les dents.

— Hein ? dort-elle ! murmura la Teuse. Elle ne vous a seulement pas entendu me crier vos sottises, tout à l’heure… Dame ! elle doit être joliment fatiguée. Imaginez qu’elle a nettoyé ses bêtes jusqu’à près de midi… Quand elle a eu mangé, elle est venue tomber là comme un plomb. Elle n’a plus bougé.

Le prêtre la regarda un instant, avec une grande tendresse.

— Il faut la laisser reposer tant qu’elle voudra, dit-il.

— Bien sûr… Est-ce malheureux qu’elle soit si innocente ! Voyez donc, ces gros bras ! Quand je l’habille, je pense toujours à la belle femme qu’elle serait devenue. Allez, elle vous aurait donné de fiers neveux, monsieur le