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LES ROUGON-MACQUART.

— Les fleurs, ça ne vit qu’un jour, dit-il encore ; tandis que les mauvaises orties comme moi, ça use les pierres où ça pousse… Maintenant, bonsoir, je puis crever. On m’a soufflé mon dernier coin de soleil. C’est de la farce.

Et il s’assit à son tour. Il ne pleurait pas, il avait le désespoir raide d’un automate dont la mécanique se casse. Machinalement, il allongea la main, il prit un livre sur la petite table couverte de violettes. C’était un des bouquins du grenier, un volume dépareillé d’Holbach, qu’il lisait depuis le matin, en veillant le corps d’Albine. Comme le docteur se taisait toujours, accablé, il se remit à tourner les pages. Mais une idée lui vint tout d’un coup.

— Si vous m’aidiez, dit-il au docteur, nous la descendrions à nous deux, nous l’enterrerions avec toutes ces fleurs.

L’oncle Pascal eut un frisson. Il expliqua qu’il n’était pas permis de garder ainsi les morts.

— Comment, ce n’est pas permis ! cria le vieux. Eh bien ! je me le permettrai !… Est-ce qu’elle n’est pas à moi ? Est-ce que vous croyez que je vais me la laisser prendre par les curés ? Qu’ils essayent, s’ils veulent être reçus à coups de fusil.

Il s’était levé, il brandissait terriblement son livre. Le docteur lui saisit les mains, les serra contre les siennes, en le conjurant de se calmer. Pendant longtemps, il parla, disant tout ce qui lui venait aux lèvres ; il s’accusait, il laissait échapper des lambeaux d’aveux, il revenait vaguement à ceux qui avaient tué Albine.

— Écoutez, dit-il enfin, elle n’est plus à vous, il faut la leur rendre.

Mais Jeanbernat hochait la tête, refusant du geste. Il était ébranlé, cependant. Il finit par dire :

— C’est bien. Qu’ils la prennent et qu’elle leur casse les bras ! Je voudrais qu’elle sortît de leur terre pour les tuer