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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Ah ! il lit son bréviaire !… Non, ne l’appelez pas. Je l’étranglerais, et c’est inutile… J’ai à lui dire qu’Albine est morte, entendez-vous ! Dites-lui qu’elle est morte, de ma part !

Et il disparut, il lança à son cheval un si rude coup de fouet, que la bête s’emporta. Mais, vingt pas plus loin, il l’arrêta de nouveau, allongeant encore la tête, criant plus fort :

— Dites-lui aussi de ma part qu’elle était enceinte ! Ça lui fera plaisir.

Le cabriolet reprit sa course folle. Il montait avec des cahots inquiétants la route pierreuse des coteaux, qui menait au Paradou. La Teuse était restée toute suffoquée. Frère Archangias ricanait, en fixant sur elle des yeux où flambait une joie farouche. Et elle le poussa, elle faillit le faire tomber, le long des marches du perron.

— Allez-vous-en, bégayait-elle, se fâchant à son tour, se soulageant sur lui. Je finirai par vous détester, vous !… Est-il possible de se réjouir de la mort du monde ! Moi, je ne l’aimais pas cette fille. Mais quand on meurt à son âge, ce n’est pas gai… Allez-vous-en, tenez ! Ne riez plus comme ça, ou je vous jette mes ciseaux à la figure !

C’était vers une heure seulement qu’un paysan, venu à Plassans pour vendre ses légumes, avait appris au docteur Pascal la mort d’Albine, en ajoutant que Jeanbernat le demandait. Maintenant, le docteur se sentait un peu soulagé par le cri qu’il venait de jeter, en passant devant l’église. Il s’était détourné de son chemin, afin de se donner cette satisfaction. Il se reprochait cette mort comme un crime dans lequel il aurait trempé. Tout le long de la route, il n’avait cessé de s’accabler d’injures, s’essuyant les yeux pour voir clair à conduire son cheval, poussant le cabriolet sur les tas de pierres, avec la sourde envie de culbuter et de se casser quelque membre. Lorsqu’il se fut engagé dans le