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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

recommença à battre les buissons, plus affamée qu’aux matinées tièdes où elle cherchait l’amour. Et, tout d’un coup, au moment où elle arrivait au parterre, elle surprit la mort, dans les parfums du soir. Elle courut, elle eut un rire de volupté. Elle devait mourir avec les fleurs.

D’abord, elle courut au bois de roses. Là, dans la dernière lueur du crépuscule, elle fouilla les massifs, elle cueillit toutes les roses qui s’alanguissaient aux approches de l’hiver. Elle les cueillait à terre, sans se soucier des épines ; elle les cueillait devant elle, des deux mains ; elle les cueillait au-dessus d’elle, se haussant sur les pieds, ployant les arbustes. Une telle hâte la poussait, qu’elle cassait les branches, elle qui avait le respect des moindres brins d’herbe. Bientôt elle eut des roses plein les bras, un fardeau de roses sous lequel elle chancelait. Puis, elle rentra au pavillon, ayant dépouillé le bois, emportant jusqu’aux pétales tombés ; et quand elle eut laissé glisser sa charge de roses sur le carreau de la chambre au plafond bleu, elle redescendit dans le parterre.

Alors, elle chercha les violettes. Elle en faisait des bouquets énormes qu’elle serrait un à un contre sa poitrine. Ensuite, elle chercha les œillets, coupant tout jusqu’aux boutons, liant des gerbes géantes d’œillets blancs, pareilles à des jattes de lait, des gerbes géantes d’œillets rouges, pareilles à des jattes de sang. Et elle chercha encore les quarantaines, les belles de nuit, les héliotropes, les lis ; elle prenait à poignée les dernières tiges épanouies des quarantaines, dont elle froissait sans pitié les ruches de satin ; elle dévastait les corbeilles de belles de nuit, ouvertes à peine à l’air du soir ; elle fauchait le champ des héliotropes, ramassant en tas sa moisson de fleurs ; elle mettait sous ses bras des paquets de lis, comme des paquets de roseaux. Lorsqu’elle fut de nouveau chargée, elle remonta au pavillon jeter, à côté des roses, les violettes, les œillets, les quaran-