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LES ROUGON-MACQUART.

connais ce coup de bâton-là. Le ciel vous a cassé les reins comme aux autres. Tant mieux ! tant mieux !

Il triomphait, il tapait des mains. L’abbé ne l’écoutait pas, perdu dans une rêverie. Son sourire avait grandi. Et quand le Frère l’eut quitté devant la porte du presbytère, il fit le tour, il entra dans l’église. Elle était toute grise, comme par ce terrible soir de pluie, où la tentation l’avait si rudement secoué. Mais elle restait pauvre et recueillie, sans ruissellement d’or, sans souffles d’angoisse, venus de la campagne. Elle gardait un silence solennel. Seule, une haleine de miséricorde semblait l’emplir.

Agenouillé devant le grand Christ de carton peint, pleurant des larmes qu’il laissait couler sur ses joues comme autant de joies, le prêtre murmurait :

— Ô mon Dieu, il n’est pas vrai que vous soyez sans pitié. Je le sens, vous m’avez déjà pardonné. Je le sens à votre grâce, qui, depuis des heures, redescend en moi, goutte à goutte, en m’apportant le salut d’une façon lente et certaine… Ô mon Dieu, c’est au moment où je vous abandonnais, que vous me protégiez avec le plus d’efficacité. Vous vous cachiez de moi pour mieux me retirer du mal. Vous laissiez ma chair aller en avant, afin de me heurter contre son impuissance… Et, maintenant, ô mon Dieu, je vois que vous m’aviez à jamais marqué de votre sceau, ce sceau redoutable, plein de délices, qui met un homme hors des hommes, et dont l’empreinte est si ineffaçable, qu’elle reparaît tôt ou tard, même sur les membres coupables. Vous m’avez brisé dans le péché et dans la tentation. Vous m’avez dévasté de votre flamme. Vous avez voulu qu’il n’y eût plus que des ruines en moi, pour y descendre en sécurité. Je suis une maison vide où vous pouvez habiter… Soyez béni, ô mon Dieu !

Il se prosternait, il balbutiait dans la poussière. L’église était victorieuse ; elle restait debout, au-dessus de la tête du