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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

traversé toutes nos joies, sans les voir, sans les entendre, sans les sentir. Et tu n’as fait que trébucher, tu es venu tomber ici de lassitude et d’ennui… Tu ne m’aimes plus.

Il protestait doucement, tranquillement. Alors, elle eut une première violence.

— Tais-toi ! Est-ce que le jardin mourra jamais ! Il dormira, cet hiver ; il se réveillera en mai, il nous rapportera tout ce que nous lui avons confié de nos tendresses ; nos baisers refleuriront dans le parterre, nos serments repousseront avec les herbes et les arbres… Si tu le voyais, si tu l’entendais, il est plus profondément ému, il aime d’une façon plus doucement poignante, à cette saison d’automne, lorsqu’il s’endort dans sa fécondité… Tu ne m’aimes plus, tu ne peux plus savoir.

Lui, levait les yeux sur elle, la suppliant de ne pas se fâcher. Il avait un visage aminci, que pâlissait une peur d’enfant. Un éclat de voix le faisait tressaillir. Il finit par obtenir d’elle qu’elle se reposât un instant, près de lui, au milieu du chemin. Ils causeraient paisiblement, ils s’expliqueraient. Et tous deux, en face du Paradou, sans même se prendre le bout des doigts, s’entretinrent de leur amour.

— Je t’aime, je t’aime, dit-il de sa voix égale. Si je ne t’aimais pas, je ne serais pas venu… C’est vrai, je suis las. J’ignore pourquoi. J’aurais cru retrouver ici cette bonne chaleur dont le souvenir seul était une caresse. Et j’ai froid, le jardin me semble noir, je n’y vois rien de ce que j’y ai laissé. Mais ce n’est point ma faute. Je m’efforce d’être comme toi, je voudrais te contenter.

— Tu ne m’aimes plus, répéta encore Albine.

— Si, je t’aime. J’ai beaucoup souffert, l’autre jour, après t’avoir renvoyée… Oh ! je t’aimais avec un tel emportement, sais-tu, que je t’aurais brisée d’une étreinte, si tu étais revenue te jeter dans mes bras. Jamais je ne t’ai désirée