Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
392
LES ROUGON-MACQUART.

d’une mare dormante. Mais Serge témoigna une telle répugnance à entrer dans ces broussailles, qu’ils restèrent sur le bord, cherchant de loin les allées où ils avaient passé au printemps. Elle se rappelait les moindres coins ; elle lui montrait du doigt la grotte où dormait la femme de marbre, les chevelures pendantes des chèvrefeuilles et des clématites, les champs de violettes, la fontaine qui crachait des œillets rouges, le grand escalier empli d’un ruissellement de giroflées fauves, la colonnade en ruine au centre de laquelle les lis bâtissaient un pavillon blanc. C’était là qu’ils étaient nés tous les deux, dans le soleil. Et elle racontait les plus petits détails de cette première journée, la façon dont ils marchaient, l’odeur que l’air avait à l’ombre. Lui, semblait écouter ; puis, d’une question, il prouvait qu’il n’avait pas compris. Le léger frisson qui le pâlissait, ne le quittait point.

Elle le mena au verger, dont ils ne purent même approcher. La rivière avait grossi, Serge ne songeait plus à prendre Albine sur son dos, pour la porter en trois sauts à l’autre bord. Et pourtant, là-bas, les pommiers et les poiriers étaient encore chargés de fruits ; la vigne, aux feuilles plus rares, pliait sous des grappes blondes, dont chaque grain gardait la tache rousse du soleil. Comme ils avaient gaminé à l’ombre gourmande de ces arbres vénérables ! Ils étaient des galopins alors. Albine souriait encore de la manière effrontée dont elle montrait ses jambes, lorsque les branches cassaient. Se souvenait-il au moins des prunes qu’ils avaient mangées ? Serge répondait par des hochements de tête. Il paraissait las déjà. Le verger, avec son enfoncement verdâtre, son pêle-mêle de tiges moussues, pareil à quelque échafaudage éventré et ruiné, l’inquiétait, lui donnait le rêve d’un lieu humide, peuplé d’orties et de serpents.

Elle le mena aux prairies. Là, il dut faire quelques pas