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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

je savais bien que tu viendrais. J’aurais attendu des années.

Puis, elle lui demanda :

— Tu m’aimes encore ?

— Oui, répondit-il, je t’aime encore.

Ils restèrent en face l’un de l’autre, un peu gênés. Un gros silence tomba entre eux. Serge, tranquille, ne cherchait pas à le rompre. Albine, à deux reprises, ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt, surprise des choses qui lui montaient aux lèvres. Elle ne trouvait plus que des paroles amères. Elle sentait des larmes lui mouiller les yeux. Qu’éprouvait-elle donc, pour ne pas être heureuse, lorsque son amour était de retour ?

— Écoute, dit-elle enfin, il ne faut pas rester là. C’est ce trou qui nous glace… Rentrons chez nous. Donne-moi ta main.

Et ils s’enfoncèrent dans le Paradou. L’automne venait, les arbres étaient soucieux, avec leurs têtes jaunies qui se dépouillaient feuille à feuille. Dans les sentiers, il y avait déjà un lit de verdure morte, trempé d’humidité, où les pas semblaient étouffer des soupirs. Au fond des pelouses, une fumée flottait, noyant de deuil les lointains bleuâtres. Et le jardin entier se taisait, ne soufflant plus que des haleines mélancoliques, qui passaient pareilles à des frissons.

Serge grelottait sous l’avenue de grands arbres qu’ils avaient prise. Il dit à demi-voix :

— Comme il fait froid, ici !

— Tu as froid, murmura tristement Albine. Ma main ne te chauffe plus. Veux-tu que je te couvre d’un pan de ma robe ?… Viens, nous allons revivre toutes nos tendresses.

Elle le mena au parterre. Le bois de roses restait odorant, les dernières fleurs avaient des parfums amers ; tandis que les feuillages, grandis démesurément, couvraient la terre