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LES ROUGON-MACQUART.

d’un coup, il avait pris son chapeau, il était parti pour le Paradou, par bêtise, obsédé, se résignant, allant là comme à une corvée qu’il ne savait de quelle façon éviter. L’image d’Albine s’était encore effacée ; il ne la voyait plus, il obéissait à d’anciennes volontés, mortes en lui à cette heure, mais dont la poussée persistait dans le grand silence de son être.

Dehors il ne prit aucune précaution pour se cacher. Il s’arrêta, au bout du village, à causer un instant avec la Rosalie ; elle lui annonçait que son enfant avait des convulsions, et elle riait pourtant, de ce rire du coin des lèvres qui lui était habituel. Puis il s’enfonça au milieu des roches, il marcha droit vers la brèche. Par habitude, il avait emporté son bréviaire. Comme le chemin était long, s’ennuyant, il ouvrit le livre, il lut les prières règlementaires. Quand il le remit sous son bras, il avait oublié le Paradou. Il allait toujours devant lui, songeant à une chasuble neuve qu’il voulait acheter pour remplacer la chasuble d’étoffe d’or qui, décidément, tombait en poussière ; depuis quelque temps, il cachait des pièces de vingt sous, et il calculait qu’au bout de sept mois il aurait assez d’argent. Il arrivait sur les hauteurs, lorsqu’un chant de paysan, au loin, lui rappela un cantique qu’il avait su autrefois, au séminaire. Il chercha les premiers vers de ce cantique, sans pouvoir les trouver. Cela l’ennuyait d’avoir si peu de mémoire. Aussi, ayant fini par se souvenir, éprouva-t-il une joie très-douce à chanter à demi-voix les paroles qui lui revenaient une à une. C’était un hommage à Marie. Il souriait, comme s’il eut reçu au visage un souffle frais de sa jeunesse. Qu’il était heureux, dans ce temps-là ! Certes, il pouvait être heureux encore ; il n’avait pas grandi, il ne demandait toujours que les mêmes bonheurs, une paix sereine, un coin de chapelle où la place de ses genoux fût marquée, une vie de solitude égayée par des puérilités ado-