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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

fouillant dans sa mémoire, que des lambeaux de prière, des détails de cérémonial, des pages de l’Instruction théologique, de Bouvier, apprises autrefois par cœur au séminaire. Même des choses sans importance l’embarrassaient beaucoup. Il se demanda s’il oserait donner le bras à sa femme, dans la rue. Certainement, il ne saurait pas marcher, avec une femme au bras. Il paraîtrait si gauche, que le monde se retournerait. On devinerait un prêtre, on insulterait Albine. Vainement il tâcherait de se laver du sacerdoce, toujours il en emporterait avec lui la pâleur triste, l’odeur d’encens. Et s’il avait des enfants, un jour ? Cette pensée inattendue le fit tressaillir. Il éprouva une répugnance étrange. Il croyait qu’il ne les aimerait pas. Cependant, ils étaient deux, un petit garçon et une petite fille. Lui, les écartait de ses genoux, souffrant de sentir leurs mains se poser sur ses vêtements, ne prenant point à les faire sauter la joie des autres pères. Il ne s’habituait pas à cette chair de sa chair, qui lui semblait toujours suer son impureté d’homme. La petite fille surtout le troublait, avec ses grands yeux, au fond desquels s’allumaient déjà des tendresses de femme. Mais non, il n’aurait point d’enfant, il s’éviterait cette horreur qu’il éprouvait, à l’idée de voir ses membres repousser et revivre éternellement. Alors, l’espoir d’être impuissant lui fut très-doux. Sans doute, toute sa virilité s’en était allée pendant sa longue adolescence. Cela le détermina. Dès le soir, il fuirait avec Albine.

Le soir, pourtant, l’abbé Mouret se sentit trop las. Il remit son départ au lendemain. Le lendemain, il se donna un nouveau prétexte : il ne pouvait abandonner sa sœur ainsi seule avec la Teuse ; il laisserait une lettre pour qu’on la conduisît chez l’oncle Pascal. Pendant trois jours, il se promit d’écrire cette lettre ; la feuille de papier, la plume et l’encre étaient prêtes, sur la table, dans sa chambre. Et, le troisième jour, il s’en alla, sans écrire la lettre. Tout