la brèche ; il ne la voyait pas, mais il la savait là ; il se souvenait des moindres bouts de ronce épars au milieu des pierres. La veille encore, il n’aurait point osé lever ainsi les regards sur cet horizon redoutable. Mais, à cette heure, il s’oubliait impunément à reprendre, après chaque bouquet de verdure, le fil interrompu de la muraille, pareille au liseré d’une jupe accroché à tous les buissons. Cela n’activait même pas le battement de ses veines. La tentation, comme dédaigneuse de la pauvreté de son sang, avait abandonné sa chair lâche. Elle le laissait incapable d’une lutte, dans la privation de la grâce, n’ayant même plus la passion du péché, prêt à accepter par hébétement tout ce qu’il repoussait furieusement la veille.
Il se surprit un moment à parler haut. Puisque la brèche était toujours là, il rejoindrait Albine, au coucher du soleil. Il ressentait un léger ennui de cette décision. Mais il ne croyait pouvoir faire autrement. Elle l’attendait, elle était sa femme. Quand il voulait évoquer son visage, il ne le voyait plus que très-pâle, très-lointain. Puis, il était inquiet sur la façon dont ils vivraient ensemble. Il leur serait difficile de rester dans le pays ; il leur faudrait fuir, sans que personne s’en doutât ; ensuite, une fois cachés quelque part, ils auraient besoin de beaucoup d’argent pour être heureux. À vingt reprises, il tenta d’arrêter un plan d’enlèvement, d’arranger leur existence d’amants heureux. Il ne trouva rien. Maintenant que le désir ne l’affolait plus, le côté pratique de la situation l’épouvantait, le mettait avec ses mains débiles en face d’une besogne compliquée, dont il ne savait pas le premier mot. Où prendraient-ils des chevaux pour se sauver ? S’ils s’en allaient à pied, ne les arrêterait-on pas ainsi que des vagabonds ? D’ailleurs, serait-il capable d’être employé, de découvrir une occupation quelconque qui pût assurer du pain à sa femme ? Jamais on ne lui avait appris ces choses. Il ignorait la vie ; il ne rencontrait, en