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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Dieu, que Dieu le menait par la main, ainsi qu’un petit enfant. Maintenant, toute cette puérilité était morte. Dieu le visitait le matin, et aussitôt il l’éprouvait. La tentation devenait sa vie sur la terre. Avec l’âge, avec la faute, il entrait dans le combat éternel. Était-ce donc que Dieu l’aimait davantage, à cette heure ? Les grands saints ont tous laissé des lambeaux de leurs corps aux épines de la voie douloureuse. Il tâchait de se faire une consolation de cette croyance. À chaque déchirement de sa chair, à chaque craquement de ses os, il se promettait des récompenses extraordinaires. Jamais le ciel ne le frapperait assez. Il allait jusqu’à mépriser son ancienne sérénité, sa facile ferveur, qui l’agenouillait dans un ravissement de fille, sans qu’il sentît même la meurtrissure du sol à ses genoux. Il s’ingéniait à trouver une volupté au fond de la souffrance, à s’y coucher, à s’y endormir. Mais, pendant qu’il bénissait Dieu, ses dents claquaient avec plus d’épouvante, la voix de son sang révolté lui criait que tout cela était un mensonge, que la seule joie désirable était de s’allonger aux bras d’Albine, derrière une haie en fleurs du Paradou.

Cependant, il avait quitté Marie pour Jésus, sacrifiant son cœur, afin de vaincre sa chair, rêvant de mettre de la virilité dans sa foi. Marie le troublait trop, avec ses minces bandeaux, ses mains tendues, son sourire de femme. Il ne pouvait s’agenouiller devant elle, sans baisser les yeux, de peur d’apercevoir le bord de ses jupes. Puis, il l’accusait de s’être faite trop douce pour lui, autrefois ; elle l’avait si longtemps gardé entre les plis de sa robe, qu’il s’était laissé glisser de ses bras dans ceux de la créature, en ne s’apercevant même pas qu’il changeait de tendresse. Et il se rappelait les brutalités de Frère Archangias, son refus d’adorer Marie, le regard méfiant dont il semblait la surveiller. Lui, désespérait de se hausser jamais à cette rudesse ; il la délaissait simplement, cachait ses images, désertait son au-