Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/352

Cette page a été validée par deux contributeurs.
352
LES ROUGON-MACQUART.

sait l’or de son auréole. Puis, les regards perdus, elle murmura :

— Oh ! les sentiers des prairies !… Tu n’as donc plus de mémoire, Serge ? Tu ne connais plus les chemins d’herbe fine, qui s’en vont à travers les prés, parmi de grandes mares de verdure ?… L’après-midi dont je te parle, nous n’étions sortis que pour une heure. Puis, nous allâmes toujours devant nous, si bien que les étoiles se levaient, lorsque nous marchions encore. Cela était si doux, ce tapis sans fin, souple comme de la soie ! Nos pieds ne rencontraient pas un gravier. On eût dit une mer verte, dont l’eau moussue nous berçait. Et nous savions bien où nous conduisaient ces sentiers si tendres qui ne menaient nulle part. Ils nous conduisaient à notre amour, à la joie de vivre les mains à nos tailles, à la certitude d’une journée de bonheur… Nous rentrâmes sans fatigue. Tu étais plus léger qu’au départ, parce que tu m’avais donné tes caresses et que je n’avais pu te les rendre toutes.

De ses mains tremblantes d’angoisse, l’abbé Mouret indiquait les dernières images. Il balbutiait :

— Et Jésus est attaché à la croix. À coups de marteau, les clous entrent dans ses mains ouvertes. Un seul clou suffit pour ses pieds, dont les os craquent. Lui, tandis que sa chair tressaille, sourit, les yeux au ciel… Jésus est entre les deux larrons. Le poids de son corps agrandit horriblement ses blessures. De son front, de ses membres, ruisselle une sueur de sang. Les deux larrons l’injurient, les passants le raillent, les soldats se partagent ses vêtements. Et les ténèbres se répandent, et le soleil se cache… Jésus meurt sur la croix. Il jette un grand cri, il rend l’esprit. Ô mort terrible ! le voile du temple fut déchiré en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les pierres se fendirent, les sépulcres s’ouvrirent…

Il était tombé à genoux, la voix coupée par des sanglots,