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LES ROUGON-MACQUART.

sait grand ! Jamais nous ne savions en trouver le bout. Les feuillages y roulaient jusqu’à l’horizon, librement, avec un bruit de vagues. Et que de bleu sur nos têtes ! Nous pouvions grandir, nous envoler, courir comme les nuages, sans rencontrer plus d’obstacles qu’eux. L’air était à nous.

Elle s’arrêta, elle montra d’un geste les murs écrasés de l’église.

— Et, ici, tu es dans une fosse. Tu ne pourrais élargir les bras sans t’écorcher les mains à la pierre. La voûte te cache le ciel, te prend ta part de soleil. C’est si petit, que tes membres s’y raidissent, comme si tu étais couché vivant dans la terre.

— Non, dit le prêtre, l’église est grande comme le monde. Dieu y tient tout entier.

D’un nouveau geste, elle désigna les croix, les christs mourants, les supplices de la Passion.

— Et tu vis au milieu de la mort. Les herbes, les arbres, les eaux, le soleil, le ciel, tout agonise autour de toi.

— Non, tout revit, tout s’épure, tout remonte à la source de lumière.

Il s’était redressé, avec une flamme dans les yeux. Il quitta l’autel, invincible désormais, embrasé d’une telle foi, qu’il méprisait les dangers de la tentation. Et il prit la main d’Albine, il la tutoya comme une sœur, il l’emmena devant les images douloureuses du chemin de la Croix.

— Tiens, dit-il, voici ce que mon Dieu a souffert… Jésus est battu de verges. Tu vois, ses épaules sont nues, sa chair est déchirée, son sang coule jusque sur ses reins… Jésus est couronné d’épines. Des larmes rouges ruissellent de son front troué. Une grande déchirure lui a fendu la tempe… Jésus est insulté par les soldats. Ses bourreaux lui ont jeté par dérision un lambeau de pourpre au cou, et ils couvrent sa face de crachats, ils le soufflettent, ils lui enfoncent à coups de roseau sa couronne dans le front…