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LES ROUGON-MACQUART.

t’excuser. Tu peux me battre, je préférerais tes coups à ta raideur de cadavre. N’as-tu plus de sang ? N’entends-tu pas que je t’appelle lâche ? Oui, tu es lâche, tu ne devais pas m’aimer, puisque tu ne peux être un homme… Est-ce ta robe noire qui te gêne ? Arrache-la. Quand tu seras nu, tu te souviendras peut-être.

Le prêtre, lentement, répéta les mêmes paroles :

— J’ai péché, je n’ai pas d’excuse. Je fais pénitence de ma faute, sans espérer de pardon. Si j’arrachais mon vêtement, j’arracherais ma chair, car je me suis donné à Dieu tout entier, avec mon âme, avec mes os. Je suis prêtre.

— Et moi ! et moi ! cria une dernière fois Albine.

Il ne baissa pas la tête.

— Que vos souffrances me soient comptées comme autant de crimes ! Que je sois éternellement puni de l’abandon où je dois vous laisser ! Ce sera juste… Tout indigne que je suis, je prie pour vous chaque soir.

Elle haussa les épaules, avec un immense découragement. Sa colère tombait. Elle était presque prise de pitié.

— Tu es fou, murmura-t-elle. Garde tes prières. C’est toi que je veux… Jamais tu ne comprendras. J’avais tant de choses à te dire ! Et tu es là, à me mettre toujours en colère, avec tes histoires de l’autre monde… Voyons, soyons raisonnables tous les deux. Attendons d’être plus calmes. Nous causerons encore… Il n’est pas possible que je m’en aille comme ça. Je ne peux te laisser ici. C’est parce que tu es ici que tu es comme mort, la peau si froide, que je n’ose te toucher… Ne parlons plus. Attendons.

Elle se tut, elle fit quelques pas. Elle examinait la petite église. La pluie continuait à mettre aux vitres son ruissellement de cendre fine. Une lumière froide, trempée d’humidité, semblait mouiller les murs. Du dehors, pas un bruit ne venait, que le roulement monotone de l’averse. Les moineaux devaient s’être blottis sous les tuiles, le sorbier dres-