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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

vages, jetant au vent ses rires de bohémienne, ni l’amoureuse vêtue de jupes blanches, pliant sa taille mince, ralentissant sa marche attendrie derrière les haies. Maintenant, un duvet de fruit blondissait sa lèvre, ses hanches roulaient librement, sa poitrine avait un épanouissement de fleur grasse. Elle était femme, avec sa face longue, qui lui donnait un grand air de fécondité. Dans ses flancs élargis, la vie dormait. Sur ses joues, à fleur de peau, venait l’adorable maturité de sa chair. Et le prêtre, tout enveloppé de son odeur passionnée de femme faite, prenait une joie amère à braver la caresse de sa bouche rouge, le rire de ses yeux, l’appel de sa gorge, l’ivresse qui coulait d’elle au moindre mouvement. Il poussait la témérité jusqu’à chercher sur elle les places qu’il avait baisées follement, autrefois, les coins des yeux, les coins des lèvres, les tempes étroites, douces comme du satin, la nuque d’ambre, soyeuse comme du velours. Jamais, même au cou d’Albine, il n’avait goûté les félicités qu’il éprouvait à se martyriser, en regardant en face cette passion qu’il refusait. Puis, il craignit de céder là à quelque nouveau piége de la chair. Il baissa les yeux, il dit avec douceur :

— Je ne puis vous entendre ici. Sortons, si vous tenez à accroître nos regrets à tous deux… Notre présence en cet endroit est un scandale. Nous sommes chez Dieu.

— Qui ça, Dieu ? cria Albine affolée, redevenue la grande fille lâchée en pleine nature. Je ne le connais pas, ton Dieu, je ne veux pas le connaître, s’il te vole à moi, qui ne lui ai jamais rien fait. Mon oncle Jeanbernat a donc raison de dire que ton Dieu est une invention de méchanceté, une manière d’épouvanter les gens et de les faire pleurer… Tu mens, tu ne m’aimes plus, ton Dieu n’existe pas.

— Vous êtes chez lui, répéta l’abbé Mouret avec force. Vous blasphémez. D’un souffle, il pourrait vous réduire en poussière.