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LES ROUGON-MACQUART.

animal, qui faisait de l’enfant grasse la tranquille sœur de la grande vache blanche et rousse. Elle rêvait d’être aimée du coq fauve et d’aimer elle-même comme les arbres poussent, naturellement, sans honte, en ouvrant chacune de ses veines aux jets de la séve. C’était la terre qui assouvissait Désirée, lorsqu’elle se vautrait sur le dos. Cependant, la pluie avait complétement cessé. Les trois chats de la maison, l’un derrière l’autre, filaient dans la cour, le long du mur, en prenant des précautions infinies pour ne pas se mouiller. Ils allongèrent le cou dans l’écurie, ils vinrent droit à la dormeuse, ronronnant, se couchant contre elle, les pattes sur un peu de sa peau. Moumou, le gros chat noir, blotti près d’une de ses joues, se mit à lui lécher le menton avec douceur.

— Et Serge ? murmura machinalement Albine.

Où était donc l’obstacle ? Qui l’empêchait de se contenter ainsi, heureuse, en pleine nature ? Pourquoi n’aimait-elle pas, pourquoi n’était-elle pas aimée, au grand soleil, librement, comme les arbres poussent ? Elle ne savait pas, elle se sentait abandonnée, à jamais meurtrie. Et elle avait un entêtement farouche, un besoin de reprendre son bien dans ses bras, de le cacher, d’en jouir encore. Alors, elle se leva. La porte de la sacristie venait d’être rouverte ; un léger claquement de mains se fit entendre, suivi du vacarme d’une bande d’enfants tapant leurs sabots sur les dalles ; le catéchisme était fini. Elle quitta doucement l’écurie, où elle attendait, depuis une heure, dans la buée chaude de la basse-cour. Comme elle se glissait le long du couloir de la sacristie, elle aperçut le dos de la Teuse, qui rentra dans sa cuisine, sans tourner la tête. Et, certaine de n’être pas vue, elle poussa la porte, l’accompagnant de la main pour qu’elle retombât sans bruit. Elle était dans l’église.