Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/335

Cette page a été validée par deux contributeurs.
335
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Elle souffletait la chèvre, elle dispersait les poules à coups de pied, elle tapait de toute la force de ses poings sur le mufle de la vache. Mais les bêtes se secouaient, revenaient plus goulues, sautaient sur elle, l’envahissaient, arrachaient son tablier. Et clignant les yeux, elle murmurait à l’oreille d’Albine, comme si les bêtes avaient pu l’entendre :

— Sont-elles drôles, ces amours ! Attendez, vous allez les voir manger.

Albine regardait de son air grave.

— Allons, soyez sages, reprit Désirée. Vous en aurez toutes. Mais chacune son tour… La grande Lise, d’abord. Hein ! tu aimes joliment le plantain, toi !

La grande Lise, c’était la vache. Elle broya lentement une poignée des feuilles grasses poussées sur la tombe de l’abbé Caffin. Un léger filet de bave pendait de son mufle. Ses gros yeux bruns avaient une douceur gourmande.

— À toi, maintenant, continua Désirée, en se tournant vers la chèvre. Oh ! je sais que tu veux des coquelicots. Et tu les préfères fleuris, n’est-ce pas ? avec des boutons qui éclatent sous tes dents comme des papillotes de braise rouge… Tiens, en voilà de joliment beaux. Ils viennent du coin à gauche, où l’on enterrait l’année dernière.

Et, tout en parlant, elle présentait à la chèvre un bouquet de fleurs saignantes, que la bête broutait. Quand elle n’eut plus dans les mains que les tiges, elle les lui mit entre les dents. Par derrière, les poules furieuses lui déchiquetaient les jupes. Elle leur jeta des chicorées sauvages et des pissenlits, qu’elle avait cueillis autour des vieilles dalles rangées le long du mur de l’église. Les poules se disputèrent surtout les pissenlits, avec une telle voracité, une telle rage d’ailes et d’ergots, que les autres bêtes de la basse-cour entendirent. Alors, ce fut un envahissement. Le grand coq fauve, Alexandre, parut le premier. Il piqua un pissenlit, le coupa en deux, sans l’entamer. Il cacardait, appelant les