Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
LES ROUGON-MACQUART.

même de prononcer le nom des gens. Vous défendez qu’on parle d’eux, ils sont comme s’ils étaient morts. Depuis votre retour, je n’ai pas osé vous donner la moindre nouvelle. Eh bien ! je causerai maintenant, je dirai ce que je saurai, parce que je vois bien que c’est tout ce silence qui vous tourne sur le cœur.

Il la regardait sévèrement, levant un doigt pour la faire taire.

— Oui, oui, continua-t-elle, j’ai des nouvelles de là-bas, très-souvent même, et je vous les donnerai… D’abord, la personne n’est pas plus heureuse que vous.

— Taisez-vous ! dit l’abbé Mouret, qui trouva la force de se mettre debout pour s’éloigner.

La Teuse se leva aussi, lui barrant le passage de sa masse énorme. Elle se fâchait, elle criait :

— Là, vous voilà déjà parti !… Mais vous m’écouterez. Vous savez que je n’aime guère les gens de là-bas, n’est-ce pas ? Si je vous parle d’eux, c’est pour votre bien… On prétend que je suis jalouse. Eh bien, je rêve de vous mener un jour là-bas. Vous seriez avec moi, vous ne craindriez pas de mal faire… Voulez-vous ?

Il l’écarta du geste, la face calmée, en disant :

— Je ne veux rien, je ne sais rien… Nous avons une grand’messe demain. Il faudra préparer l’autel.

Puis, s’étant mis à marcher, il ajouta avec un sourire :

— Ne vous inquiétez pas, ma bonne Teuse. Je suis plus fort que vous ne croyez. Je me guérirai tout seul.

Et il s’éloigna, l’air solide, la tête droite, ayant vaincu. Sa soutane, le long des bordures de thym, avait un frôlement très-doux. La Teuse, qui était restée plantée à la même place, ramassa son écuelle et sa cuiller de bois, en bougonnant. Elle mâchait entre ses dents des paroles qu’elle accompagnait de grands haussements d’épaules.

— Ça fait le brave, ça se croit bâti autrement que les