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LES ROUGON-MACQUART.

tin-là, la vieille servante pressentait une attaque plus rude encore que les autres. Elle se mit à parler abondamment, tout en continuant à se méfier de la cuiller qui lui brûlait la langue.

— Vraiment, il faut vivre au fond d’un pays de loups pour voir des choses pareilles. Est-ce que, dans les villages honnêtes, on se marie jamais aux chandelles ? Ça montre assez que tous ces Artaud sont des pas grand’chose… Moi, en Normandie, j’ai vu des noces qui mettaient les gens en l’air, à deux lieues à la ronde. On mangeait pendant trois jours. Le curé en était ; le maire aussi ; même, à la noce d’une de mes cousines, les pompiers sont venus. Et l’on s’amusait donc !… Mais faire lever un prêtre avant le soleil pour s’épouser à une heure où les poules elles-mêmes sont encore couchées, il n’y a pas de bon sens ! À votre place, monsieur le curé, j’aurais refusé… Pardi ! vous n’avez pas assez dormi, vous avez peut-être pris froid dans l’église. C’est ça qui vous a tout retourné. Ajoutez qu’on aimerait mieux marier des bêtes que cette Rosalie et son gueux, avec leur mioche qui a pissé sur une chaise… Vous avez tort de ne pas me dire où vous vous sentez mal. Je vous ferais quelque chose de chaud… Hein ? monsieur le curé, répondez-moi ?

Il répondit faiblement qu’il était bien, qu’il n’avait besoin que d’un peu d’air. Il venait de s’adosser à un des mûriers, la respiration courte, s’abandonnant.

— Bien, bien ! n’en faites qu’à votre tête, reprit la Teuse. Mariez les gens, lorsque vous n’en avez pas la force, et lorsque cela doit vous rendre malade. Je m’en doutais, je l’avais dit hier… C’est comme, si vous m’écoutiez, vous ne resteriez pas là, puisque l’odeur de la basse-cour vous incommode. Ça pue joliment, dans ce moment-ci. Je ne sais pas ce que mademoiselle Désirée peut encore remuer. Elle chante, elle ; elle s’en moque, ça lui donne des couleurs…