Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/277

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Mon Dieu ! cria Serge, tombé à genoux, renversé par les petits souffles de la cloche.

Il se prosternait, il sentait les trois coups de l’Angelus lui passer sur la nuque, lui retentir jusqu’au cœur. La cloche prenait une voix plus haute. Elle revint, implacable, pendant quelques minutes qui lui parurent durer des années. Elle évoquait toute sa vie passée, son enfance pieuse, ses joies du séminaire, ses premières messes, dans la vallée brûlée des Artaud, où il rêvait la solitude des saints. Toujours elle lui avait parlé ainsi. Il retrouvait jusqu’aux moindres inflexions de cette voix de l’église, qui sans cesse s’était élevée à ses oreilles, pareille à une voix de mère grave et douce. Pourquoi ne l’avait-il plus entendue ? Autrefois, elle lui promettait la venue de Marie. Était-ce Marie qui l’avait emmené, au fond des verdures heureuses, où la voix de la cloche n’arrivait pas ? Jamais il n’aurait oublié, si la cloche n’avait cessé de sonner. Et, comme il se courbait davantage, la caresse de sa barbe sur ses mains jointes lui fit peur. Il ne se connaissait pas ce poil long, ce poil soyeux qui lui donnait une beauté de bête. Il tordit sa barbe, il prit ses cheveux à deux mains, cherchant la nudité de la tonsure ; mais ses cheveux avait poussé puissamment, la tonsure était noyée sous un flot viril de grandes boucles rejetées du front jusqu’à la nuque. Toute sa chair, jadis rasée, avait un hérissement fauve.

— Ah ! tu avais raison, dit-il, en jetant un regard désespéré à Albine ; nous avons péché, nous méritons quelque châtiment terrible… Moi, je te rassurais, je n’entendais pas les menaces qui te venaient à travers les branches.

Albine tenta de le reprendre dans ses bras, en murmurant :

— Relève-toi, fuyons ensemble… Il est peut-être temps encore de nous aimer.

— Non, je n’ai plus la force, le moindre gravier me